Manet Degas à Orsay - Paris - du 28 mars au 23 juillet 2023 et au Metropolitan Museum - New York - du 24 septembre 2023 au 7 janvier 2024
Deux géants que tout - ou presque - devait opposer qui se retrouvent exposés. 150 ans après une féroce querelle, Degas et Manet sont à nouveau face à face et face à l'histoire de l'art.
Il fallait oser le faire. Cette exposition qui prend les prestigieux chemins du musée d’Orsay à Paris et du Metropolitan Museum de New York va marquer son temps. Elle remet en scène un vieux sujet où s’opposent deux géants de l’époque impressionniste.
Serait-ce retourner, sous une version contemporaine, à la bataille d’Hernani qui vit Victor Hugo violemment confronté aux formules du théâtre classique de son époque ? La confrontation entre Manet et Degas n’est pas nouvelle. A l’époque, elle a occupé de l’espace artistique mais aussi médiatique, journaux et gazettes, aux envolées parfois lyriques et épistolaires débridées. En réalité, il s’agissait déjà d’une opposition entre le sentiment classique encore largement partagé et l’impressionnisme qui mit du temps à s’imposer. Le débat entre Manet et Degas revêt plusieurs aspects : personnel, social et évidemment artistique.
Même si la similitude de leurs origines est évidente – tous les deux issus de milieux bourgeois – Manet et Degas, qui fréquentent des milieux différents, et comme on peut le lire dans le catalogue de l’exposition, Manet « élégant, spirituel, à l’aise en société, recevant des artistes, recevant des journalistes [que hait Degas]… Un Degas d’une nature plus réservée mais farouchement indépendante, à la parole incisive et aux positions radicales ». (p. 12) Un monde les sépare qui prend solidement racine dans des caractères et tempéraments différents voire opposés.
Un exemple qui ne manque pas de surprendre. Même si Degas change son nom en supprimant sa particule, il reste néanmoins partie intégrante d’une société aristocratique qui n’est pas celle de Manet. Lors de son séjour en Italie entre 1856 et 1860, Degas est accueilli par sa famille - ducale - dont la noblesse s’affiche fièrement dans certaines de ses œuvres. Etrange cependant la suppression de sa particule, signe de noblesse ! Selon la rumeur, Degas l’aurait décidée pour montrer qu’il faisait partie du monde du travail, sans doute un pied de nez destiné à Manet et à son milieu. Degas qui restera profondément attaché à sa famille comme le prouvent ses séjours en Italie ainsi qu’à La Nouvelle Orléans fin 1872 - début 1873.
De nombreuses aspirations et conflits séparent Degas de Manet. Parfois un événement va violement mettre le feu aux poudres comme cette « affaire » du tableau Madame Manet au piano (Kitakuyshu Municipal Museum, Japon) qui représente Suzanne, sa femme au piano que Manet a coupé, ulcéré du visage qu’en peignit Degas. Il suffit d’une étincelle pour embraser les esprits.
La correspondance n’apporte aucun éclairage sur ces deux personnalités. On ne connaît aucune lettre de Degas à Manet. En revanche, quatre lettres ou billets de Manet à Degas nous sont parvenus. C’est au détour d’une lettre à un ami que s’exprime parfois le jugement de Degas sur Manet, comme quand il écrit à Tissot le 27 mars ou 3 avril 1874 : « Je le crois décidément beaucoup plus vaniteux qu’intelligent ».
Si la correspondance est bien maigre, on trouve la trace des relations entre Degas et Manet dans diverses œuvres, mais seulement à sens unique. En effet, si on ne connait pas d’œuvres de Manet représentant Degas, il existe en revanche une peinture ainsi qu’une demi-douzaine de dessins et quelques gravures de Degas montrant Manet.
De nombreux sujets séparent les deux artistes mais d’autres les lient comme les portraits, les chevaux et les femmes. Sujets identiques mais traitements fondamentalement divergents. On le constate dans le Portrait de l’artiste de Degas du musée d’Orsay et l’Autoportrait à la palette de Manet, tous deux exposés à l’entrée de l’exposition comme symbole de convergence mais aussi de divergence. Quelle plus belle preuve de tout ce débat qui lie et/ou oppose Manet à Degas ! On trouve cette profonde séparation dans le traitement avant-gardiste de certaines œuvres de Manet comme Les Bulles de savon de 1873 que Degas n’aurait jamais osé ainsi traiter et par lequel Manet montre tout son modernisme. Autre sujet que se partagent Manet et Degas : les chevaux. Les courses, les hippodromes, les tribunes de Longchamp comblées de spectateurs. Chacun y voit le trot ou le galop du cheval, Degas sans doute plus proche du cheval pour en décrypter les mouvements, Manet plus fasciné par l’ensemble du groupe qui suit du regard les chevaux en mouvement.La femme est encore l’élément « fédérateur » entre Manet et Degas. Degas la représentera la plupart du temps dans la solitude d’un mouvement de danse ou du bain, Manet lui donnant un aspect plus statique que mobile. Enfin, d’autres sujets lient Manet et Degas comme ces scènes de plage très proches l’une de l’autre et les copies des maîtres anciens du Louvre et des Offices à Florence.
Bien des sujets où la controverse Manet Degas prend encore aujourd’hui tout son sens. On sait grè au musée d’Orsay et au Metropolitan Museum d’en avoir repris le thème à un an de la commémoration du 200ème anniversaire de la naissance de l’impressionnisme en 2024.
Michel Schulman
Publication : 10-11-2023